JDD : « Les comptes de Relais & Châteaux ont été pillés »
29 oct 2012
Catégorie : Bonnes adresses, Presse & Médias
À quelques jours du Congrès International des Relais & Châteaux qui se tiendra semaine prochaine à Turin, le JDD (le Journal du Dimanche) consacre ce dimanche 28 octobre, une page entière au vol organisé qu’a subi la Chaîne des Relais & Châteaux pendant plus de sept ans. Jaume Tàpies, le président de la chaîne s’exprime sur ce sujet et amène quelques éléments qui éclaireront les lecteurs. Force est de constater que, durant toute cette période, la chaîne s’est fait voler grâce à des détournements d’argent et des sur-facturations. Et par conséquent, ce sont tous les hôteliers et restaurateurs qui font partie de la chaîne et qui cotisent sur les fonds de leurs propres entreprises qui ont été volés.
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« Les comptes de Relais & Châteaux ont été pillés »
INTERVIEW – L’actuel président de la chaîne hôtelière, Jaume Tàpies, a découvert de nouveaux détournements dont a été victime l’association. En ligne de mire, son prédécesseur, Régis Bulot, un ami de Dominique de Villepin.
C’est une des plus belles marques françaises. Présente dans 60 pays, la chaîne Relais & Châteaux compte parmi les plus beaux hôtels au monde. Mais dans les coulisses de cet univers du luxe, un juge de Strasbourg, Jean-Baptiste Poli, enquête sur des détournements de fonds de l’ancien président, Régis Bulot, incarcéré pendant huit mois, et mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Partie civile au dossier, son successeur, l’Andorran Jaume Tàpies, a décidé de mener une « opération mains propres ». Menaces, pressions, intimidation, il raconte aujourd’hui pour la première fois, à la veille de son congrès annuel à Turin, son combat pour « faire le ménage ». Jaume Tàpies révèle aussi de nouveaux détournements qu’un audit interne vient de mettre au jour.
Depuis quand présidez-vous la chaîne Relais & Châteaux ?
J’ai succédé à Régis Bulot en novembre 2005. Auparavant, pendant treize ans, j’étais au conseil d’administration et les choses se passaient bien. Aujourd’hui, avec le recul, j’ai l’impression d’avoir été berné. C’était M. Machiavel-Bulot. Personne n’aurait pu imaginer qu’il avait un compte suisse, puis un compte aux Bahamas, et qu’il participait au pillage de l’association avec des fonds en espèces. Tout était fait pour que personne ne se rende compte de rien.
Pourquoi parlez-vous aujourd’hui pour la première fois ?
J’entame ma dernière année de présidence, après deux mandats, et je passerai la main l’an prochain. Nous avons notre congrès annuel, à Turin, cette semaine, et je vais dresser un bilan à nos 520 membres. J’avais quatre axes. Le développement international, nous sommes présents dans 60 pays sur les cinq continents ; le marketing, nous avons modernisé notre marque et nos outils de réservation ; le service aux membres, nous avons créé un système de formation, avec 14 filiales qui ont formé 8.500 personnes l’an dernier ; la gouvernance, nous venions d’un système où le président décidait de tout tout seul… Toutes nos procédures ont été mises à plat et nous sommes aujourd’hui gérés « comme une entreprise du CAC 40″. Cette année, nous avons une croissance de 21 %, et cinq Relais & Châteaux sont dans le top 10 des meilleurs hôtels au monde. Je suis d’autant plus fier de ce bilan que tout s’est réalisé sur fond de grave crise interne et « d’affaire ».
« L’association a été victime d’une ‘bande’ et que ses comptes ont été pillés. »
Vous n’en avez jamais parlé publiquement…
Pendant des années, non seulement j’ai laissé faire la justice, mais nous avons coopéré avec elle en engageant, à mon initiative, une batterie d’audits internes confidentiels. J’ai créé au sein du conseil d’administration une « task force » pour faire toute la lumière. Ces enquêtes internes sont terminées, et je viens de communiquer nos dernières découvertes au magistrat en charge du dossier. Je peux dire aujourd’hui que l’association a été victime d’une « bande » et que ses comptes ont été pillés.
Quand avez-vous découvert l’existence des détournements ?
Un matin, en 2008, le directeur financier m’a informé de l’appel d’un gendarme de Strasbourg, précisant que nous avions été victimes d’une escroquerie sur les fournitures du papier pour l’impression du guide Relais & Châteaux. J’ai aussitôt commandé un audit et les résultats ont été clairs : non seulement les commandes de papier étaient surfacturées de 30 %, mais nous passions commande sans procéder à des appels d’offres. Le conseil d’administration dont je faisais partie avalisait des appels d’offres bidon.
En avez-vous discuté avec votre prédécesseur, Régis Bulot ?
D’entrée de jeu, les gendarmes m’ont déconseillé de le faire. Assez vite après leur appel, j’ai découvert que Régis Bulot avait transformé une assurance-vie au nom de Relais & Châteaux pour la mettre à son nom et toucher 1,6 million de francs, et qu’un drôle d’accord avait été passé au moment de ses indemnités de départ, en 2005, dans le but de conserver l’argent. Depuis 2008, je ne l’ai croisé qu’une fois, pendant un cocktail. Il m’a demandé si je croyais qu’il avait un rapport avec tout cela. Je lui ai répondu qu’au vu de ce que j’avais déjà découvert, oui, je le pensais. Je lui ai conseillé de prendre un bon avocat et n’ai plus été en contact avec lui.
« J’ai eu droit à tout, des menaces aux intrusions dans mon ordinateur. »
Comment s’est déroulée en interne votre « opération mains propres » ?
J’ai eu droit à tout, des menaces aux intrusions dans mon ordinateur. J’ai même reçu des lettres anonymes avec des photos de la Sainte-Vierge. C’était parfois assez déroutant. Grâce aux écoutes judiciaires, j’ai appris qu’il y avait des « taupes » dans la maison et que certains « concurrents » complotaient pour me faire la peau. J’ai fait le ménage, changé les règles, licencié plusieurs personnes. La justice enquête sur un système de « nuitées gratuites » mises à disposition de personnalités dans des Relais & Châteaux. Le jour où j’ai pris mes fonctions, j’ai fait le tour des bureaux et ai rencontré une employée qui s’occupait à plein temps des « nuitées gratuites ». La plupart des bénéficiaires l’étaient dans le cadre d’opérations commerciales ou promotionnelles. Pour ces « personnalités », il devait effectivement y avoir une liste, mais nous ne l’avons jamais trouvée. La seule personne qui en avait connaissance était Régis Bulot. J’ai changé ce système. Désormais, tout est traçable. Tout comme j’ai remis en ordre le système des bons-cadeaux. Un audit sur ce sujet a conclu que les procédures en place permettaient effectivement des détournements.
Comment avez-vous été approché par Dominique de Villepin, un ami de Régis Bulot ?
C’était fin 2009. L’enquête des gendarmes ne bougeait pas depuis plusieurs mois, et en interne c’était un moment où les gens semblaient douter ; ils commençaient à dire que j’exagérais. Via un membre de l’association, Dominique de Villepin m’a fait savoir qu’il voulait me rencontrer. Nous sommes convenus d’un déjeuner. J’ai aussitôt prévenu les gendarmes, qui m’ont conseillé de ne pas y aller seul ni avec quelqu’un de ma famille. Je m’y suis rendu avec mon secrétaire général.
Comment s’est déroulé le déjeuner en janvier 2010 ?
M. de Villepin a dit d’emblée qu’en tant qu’ancien Premier ministre, il s’était renseigné, qu’il avait appelé les gendarmes, et que le dossier était vide. Il a ajouté qu’un président ne devait pas attaquer un autre président, et que cela mettait ma carrière en péril.
Avez-vous ressenti cela comme une menace ?
J’ai tout de suite compris, parce que j’avais de bonnes relations avec les gendarmes, qu’il bluffait. Alors il ne m’a pas fait peur et je ne me suis pas senti menacé. Mais il était clair qu’il voulait que j’arrête, que je retire la plainte. J’ai essayé de lui expliquer qui était vraiment son ami Régis Bulot, mais il avait l’air de ne pas y croire. Qu’un ancien Premier ministre fasse cette démarche me choquait. J’avais devant moi un ancien Premier ministre dont l’ami était à mes yeux un voyou et qui me demandait de laisser tomber cette affaire… Mettez-vous à ma place !
Quelles sont vos dernières découvertes ?
Les gendarmes ont mis au jour des surfacturations sur le papier, puis sur l’impression du guide. De mon côté, j’ai fouillé dans d’autres domaines et j’ai commandé un audit sur le prépresse, c’est-à-dire toute la fabrication en amont. Le rapport m’a été remis récemment et il est accablant. Certaines années, les surfacturations dans ce seul secteur atteignaient 400.000 euros. Nous avons des preuves que ce système existait depuis 1997. Je viens d’adresser ce rapport aux enquêteurs et ils pourront se pencher sur cette nouvelle piste. En réalité, c’est toute la chaîne de réalisation du guide qui était pipée. Globalement, j’estime qu’un million d’euros par an partait en fumée, soit environ 30 % de tout ce qui était facturé à Relais & Châteaux pour le guide annuel. Quand je vois cela, j’ai l’impression que Relais & Châteaux était une pièce d’un puzzle plus grand. Peut-être que d’autres grands groupes comme le nôtre, qui réalisent de grands tirages, ont été abusés eux aussi.
Laurent Valdiguié – Le Journal du Dimanche