Patrimoine immatériel de l’Unesco – » Aujourd’hui, c’est devenu le concours de Miss Monde. «
09 déc 2015
Catégorie : Non classé, Presse & Médias
Le Patrimoine immatériel de l’Unesco, un label dévoyé ? … C’est le titre qu’a choisi Télérama, dans un long article qui pose la question la question si ce label n’est pas seulement un argument politique et commercial ?
Le repas gastronomique français a permis en tous cas de propulser un peu plus haut l’image du savoir faire culinaire français, et de donner une légitimité ( si elle en avait besoin ? ) à une des traditions nationale dont le monde entier est le plus fier. Il a permis aussi de mettre en place de vraies instances gouvernementales liées au secteur du tourisme qui s’occupent de la promotion de la gastronomie.
Mais aujourd’hui, quelle est la légitimité de ce classement dans la mesure où tout peut devenir » Patrimoine immatériel de l’Unesco » ?
Lisez ci-dessous pour en savoir plus … Extraits …
L’avenir de la cornemuse slovaque ou du tir à la corde asiatique se jouait ces jours-ci à Windhoek, en Namibie. Comme celui du café arabe, de l’équitation autrichienne ou encore du funambulisme ouzbek. C’est un étrange concours, mitonné chaque automne par l’Unesco. Un rituel exotique qui pourrait être au patrimoine ce que l’Eurovision est à la chanson, à ceci près que la plupart des candidats gagnent.
L’idée a germé il y a une quinzaine d’années aux Nations unies. Inventer une façon de défendre les cultures invisibles de chaque communauté (célébrations, coutumes locales) et de mieux valoriser la conception du patrimoine des pays du Sud, davantage portée sur les arts vivants et les traditions populaires que celle des Européens, fondée sur la pierre et les monuments.
…/…
Un patrimoine fragile
« C’est un patrimoine fragile qui se cache partout dans votre vie mais peut vite disparaître si vous ne prenez pas soin de l’identifier. Cela peut aller d’une fête votive en Lozère à des remèdes à base de plantes du jardin, des pratiques qui sont moins là pour distraire que pour servir le tissu social et assurer le bien-être collectif. » « Si on laisse mourir les anciennes générations avec leur savoir, on s’appauvrit culturellement » explique Cécile Duvelle, chef de la section du Patrimoine immatériel de l’Unesco
Si vous partagez un rituel avec les habitants de votre quartier, qui se transmet de génération en génération, vous avez le droit de postuler à l’Unesco. Un comité évaluera simplement la solidité de votre dossier. En parallèle, chaque pays est invité à mener l’inventaire de toutes ces expressions et pratiques communautaires qui émaillent son territoire. De fait, certaines traditions sont directement menacées par la mondialisation. Un spectacle de marionnettes, une discipline musicale qui disparaît, etc.
Des recettes de cuisines classées ?
Une liste de sauvegarde urgente a donc été créée en 2003 pour protéger ces rites ou ces artisanats locaux. Il s’agit plutôt d’une vitrine, d’un modeste échantillon résumant la diversité des rites et des savoir-faire de la planète, sans aucun jugement de valeur, aucune hiérarchie. Couture, poterie, danse, recette de cuisine…
Dans ce fameux index de l’Unesco — trois cent quatorze « éléments » inscrits en dix ans — cohabitent ainsi la porcelaine de Limoges et l’art de la plaisanterie au Niger, le papier marbré turc et le sauna estonien, la dentellerie croate, le tango, les dessins sur sable au Vanuatu, le fest-noz, les tissus d’écorce en Ouganda, la pêche aux crevettes à cheval en Belgique … Inutile d’applaudir, tout le monde mérite de figurer au catalogue. Le bureau de l’Unesco valide seulement une trentaine de pratiques chaque année, faute de moyens pour éplucher davantage de dossiers — la Chine aurait près de deux cent mille candidatures sous le coude !
Toutes les traditions dans le même sac
Le grand public, lui, ignore tout de ce processus. Pour lui, l’Unesco reste un label d’excellence qui consacre les trésors de l’humanité. Et inscrire sur le moindre répertoire la bière belge ou le carnaval de Granville (candidats 2016) suffit, dans l’imaginaire collectif, à les hisser à la hauteur des pyramides d’Egypte.
La controverse vient de là. « Il y a un grand malentendu sur cette liste représentative. C’était juste un outil de communication, pas un classement, mais les Etats se sont précipités pour y apparaître comme s’il s’agissait d’un tableau d’honneur. Aujourd’hui, c’est devenu le concours de Miss Monde. » regrette Cécile Duvelle.
De nombreuses voix se sont élevées contre l’instrumentalisation de l’estampille Unesco, cette « distribution de médailles en chocolat », comme le formule un expert à l’origine du projet, qui parle aujourd’hui d’un « gâchis épouvantable ». Même l’Unesco semble parfois dépassée par le monstre qu’elle a créé. « Le label fait vendre, mais il fait aussi du mal, admet Cécile Duvelle. Certains opérateurs touristiques récupèrent ce patrimoine pour faire de l’art d’aéroport et gagner un maximum d’argent. Nous en sommes conscients. »
…/…
L’enjeu économique excède la question du tourisme : le label Unesco suscite l’intérêt des artisans du monde entier, qui réclament eux aussi leur heure de gloire. Le textile du Pérou a été distingué en 2008, la dentelle d’Alençon en 2010, les yourtes du Kazakhstan en 2014. C’est maintenant la Ville de Grasse qui rêve d’être reconnue par l’Unesco pour ses parfums (on imagine déjà le logo sur l’emballage) et le lobby de la joaillerie française a fait plusieurs tentatives d’approche. L’organisation des Nations unies souffre de recevoir de plus en plus de candidatures opportunistes, soigneusement enrobées pour correspondre aux critères du comité d’évaluation (douze experts).
Gastronomie française, puis les autres …
Tel fut le cas, par exemple, du repas gastronomique des Français, dont l’inscription en 2010 a déclenché une polémique salée dans le milieu du patrimoine. Portée par une escouade de chefs et d’historiens de la cuisine, la candidature défendait une certaine idée du repas français, convivial et ritualisé. Or très vite, le mot « repas » a disparu de la communication et c’est la gastronomie qui, aux yeux du monde, s’est retrouvée couronnée.
« Aussitôt, des ambassades françaises ont organisé des repas de chefs pharaoniques à l’étranger pour promouvoir leur cuisine, Nicolas Sarkozy s’est enorgueilli de la décision de l’Unesco, a vanté l’excellence de notre gastronomie. Cette récupération politique, doublée d’une escroquerie intellectuelle, a ouvert la boîte de Pandore », raconte une spécialiste du patrimoine. L’Unesco a dû rappeler à l’ordre le gouvernement. En vain. Depuis, les candidatures alimentaires se sont multipliées : le café turc (2014), la diète méditerranéenne (2014) ou le kimchi coréen (2015), jusqu’à la pizza napolitaine que défend l’Italie ou la cuisine familiale de Confucius (et ses cent quatre-vingt-seize plats) qu’espère un jour faire reconnaître Pékin !
Ce qu’il faudrait, de l’avis général, c’est tirer un trait sur tout ça. La liste représentative a fait son temps. Au sein même de l’Unesco, on ne mâche plus ses mots contre « l’attraction morbide autour de cette sélection », les « candidatures manipulées et sans intérêt ». Le secrétariat au patrimoine réfléchit à une alternative, un registre ouvert, sans lauréat, une sorte de Wikipédia qui saperait l’effet de label. Mais les Etats concernés font la sourde oreille. …