Gastronomie Française – Le grand retour de la tradition, du classique, des maisons bourgeoises
02 déc 2015
Catégorie : Presse & Médias, Tendances
C’est François Régis Gaudry qui dans L’Express fait un constat » la grande restauration ne connait pas la crise « , en effet après quelques années d’errements la gastronomie française ne s’est jamais autant affirmée que par son côté classique… dorures, argenterie, grand service, découpage en salle, grands vins et grands prix reviennent en force.
Alors, est-ce justement la crise qui sévit en France et en Europe depuis 2008 qui ramène la gastronomie française vers les valeurs qui ont fait sa grandeur et sa réputation ?
En tout cas peut-être que certains trouveront ce phénomène Réac ( c’est très à la mode en ce moment ), l’effet » c’était mieux avant » touche aussi la grande cuisine, mais c’est un vrai retour en arrière qu’effectue actuellement un grand nombre de chefs, on ressort les classiques, les nappages et la porcelaine, et on affirme clairement son attachement à la tradition.
Alors vrai mouvement ? … ou simplement le souhait de quelques grandes fortunes qui investissent dans des bâtiments prestigieux qu’ils rénovent et les transforment en restaurant musée de la tradition gastronomique haut de gamme ?… l’avenir nous le montrera rapidement.
Extraits : Lisez ci-dessous …. pour retrouver l’article de l’Express en intégralité, cliquez sur le LINK
Gastronomie : La revanche du grand restaurant
Joël Robuchon, Jean-François Piège, Yannick Alléno, Christian Le Squer, Anne-Sophie Pic… Aux fourneaux des palaces ou dans leurs propres maisons, ils soignent le décor, ressortent l’argenterie, magnifient le service en salle et réinventent les classiques culinaires.
Dans un entretien qu’il accordait, en juin 2009, à L’Express, Joël Robuchon jetait un gros pavé dans la marmite: « La grande cuisine française m’emmerde… Les plats sophistiqués à l’extrême, les nappes matelassées, l’argenterie, le ballet de trois garçons pour vous servir une assiette et les additions stratosphériques, j’ai assez donné. » Plutôt déconcertant, de la part d’un éminent représentant de notre haute gastronomie, dont la table parisienne 3 étoiles le Jamin fut classée meilleur restaurant du monde par l’International Herald Tribune en 1994… Il faut dire qu’en 1996, âgé de 51 ans et après trente années d’une carrière exténuante, il a décidé de rendre son tablier et ses 3 étoiles pour développer, dans les capitales du monde, son concept d’Atelier, un restaurant-comptoir décontracté proposant des assiettes sans chichis au format tapas.
C’était une époque où le gourmet traquait d’autres sensations fortes : celles de la bistronomie, née au début des années 1990 de la volonté d’une poignée de chefs, Yves Camdeborde en tête, de proposer de la grande cuisine dans de petits bistrots ou bien celles de la cuisine moléculaire, dans le sillage de Ferran Adria, gourou catalan qui dynamita le classicisme dans son auberge rustique. Entre gastronomie low profile et dynamisme d’avant-garde, le grand restaurant à la française perdait ses repères. « Ringard », « élitiste », « pédant », il était caricaturé en France et à l’étranger, par cette triste équation métallique: ors au plafond, cloches en argent, couverts en vermeil et additions en… plomb !
Ces derniers temps, comme si le naturel revenait au galop, « JR » replonge dans cet univers impitoyable : le chef ressort les verres Baccarat, l’argenterie Christofle, la vaisselle Bernardaud; il fait danser les canards de Challans et les poulardes de Bresse sur les chariots de découpe; il ressuscite quelques-uns de ses plats signature, comme la tarte friande à la truffe. Où donc ? Pas dans le » triangle d’or » parisien, mais en plein Bordeaux, dans un hôtel particulier converti par son ami Bernard Magrez, milliardaire du vin, en un 5-étoiles hyper luxueux sobrement baptisé « la Grande Maison ».
Montant des opérations : 11 millions d’euros ! Voilà qui pourrait permettre au chef le plus étoilé du monde (25 étoiles dans une dizaine de pays) de renouer enfin avec les trois macarons sur sa terre natale, mais aussi de faire face à une forte concurrence girondine : à moins de 2 kilomètres de là, le chef écossais multi-étoilé Gordon Ramsay aiguise ses couteaux sous les moulures historiques du Pressoir d’argent, la table du Grand Hôtel de Bordeaux.
« Dans les prochaines années, les grands restaurants seront moins nombreux, commente Joël Robuchon, mais ils se distingueront en proposant une expérience exceptionnelle sur le plan des émotions culinaires, du décor, du service et des arts de la table. Je sens bien par les propositions qui me sont faites que les groupes de luxe vont miser massivement sur la restauration très haut de gamme pour s’offrir une vitrine à la hauteur de leur prestige. »
Le grand restaurant ne connaît pas la crise
Voyez, par exemple, l’incroyable projet tout juste sorti de terre dans le village alsacien de Wingen-sur-Moder. Dans la propriété historique de René Lalique, fondateur de la célèbre manufacture Lalique, s’est bâti un écrin brillant de mille feux où Jean-Georges Klein, ancien chef 3 étoiles de l’Arnsbourg, dans la Moselle, fait défiler ses chartreuses de homard « retour de Saïgon » et ses cappuccinos de pommes de terre et truffes face à un parc paysager de 6 hectares, sous un plafond dégoulinant de cristal.
A Paris, plus que jamais, le grand restaurant ne connaît pas la crise. Alors que LVMH presse les pelleteuses face au pont Neuf pour transformer, d’ici à 2017, la Samaritaine en hôtel de prestige doté d’une table qu’on annonce « grandiose », les marques hôtelières rivalisent déjà d’apparat : le Shangri-La se paie les services d’une valeur sûre, Christophe Moret, ex-chef de Lasserre, pour raviver le pouvoir de séduction de sa table l’Abeille; le Plaza Athénée offre à son chef, Alain Ducasse, une majestueuse cathédrale de cristal, de cuir, de vieux chêne et d’Inox pour jouer son nouveau répertoire axé sur la « naturalité »; la Réserve laisse carte blanche à Jérôme Banctel, ancien bras droit d’Alain Senderens, dans un décor cossu signé Jacques Garcia; et le George V voit les choses en grand: nouvelle cuisine ultramoderne, nouvelle salle à manger pour mieux mettre en avant les grands miroirs Régence et les armoires Louis XIV et nouveau chef -Christian Le Squer, ex-Ledoyen- avec mission d’aller décrocher les 3 étoiles au Michelin. Quant au Ritz et au Crillon, ils fourbissent leurs armes, derrière des bâches de chantier… Briller à l’international
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Et la meilleure nouvelle, dans tout ça, c’est que de jeunes chefs énergiques et talentueux entrent dans le jeu… » Mathieu Pacaud à la tête de la brasserie gastronomique Hexagone, inaugure, à 34 ans, un cabinet de curiosités culinaires taillé pour aller chercher les étoiles. Adeline Grattard, la géniale créatrice de Yam’Tcha, déménage, à 37 ans, dans un précieux écrin au climat d’Extrême Orient.
Il y a aussi et surtout le cas Christophe Pelé: 46 ans, un look de dandy en chemise Acne et bottines Saint Laurent, un CV modèle émaillé de grandes maisons et une table culte, la Bigarrade, dans le quartier des Batignolles, où il s’est mis dans la poche le guide Michelin et les gourmets branchés à coups de créations toniques. Pas vraiment le profil pour réinterpréter les grands classiques et le service à la française au Clarence, un hôtel particulier du XIXe siècle situé en face du Grand Palais, entièrement restauré par le Domaine Clarence Dillon, qui détient des fleurons du vignoble bordelais: Haut-Brion, la Mission Haut-Brion, Quintus… « Ma cuisine a longtemps été tournée vers une certaine épure japonisante. Je ne renie rien, mais je suis arrivé à un tournant de ma carrière où j’ai envie de replonger dans ce que j’ai toujours aimé: les jus, les lièvres à la royale, les oeufs à la florentine, mais à ma manière, avec des touches modernes et une vraie digestibilité. » Voilà qui devrait coller au splendide décorum XIXe orné de vases Saint-Louis, de candélabres Christofle et de commodes chinées par le prince Robert de Luxembourg, président esthète de la société. « On est allé trop loin »
Au coeur de leurs préoccupations: le client. « Quand j’étais chef à la Bigarrade, j’imposais mon menu à mes convives et je les prenais en otage pendant quatre heures. J’en ai presque honte en y repensant. Le client n’avait rien à dire, c’était le chef qui était roi. On est allé trop loin. Ici, on a pensé à tout pour mettre le client à l’aise: une carte avec du choix, des fauteuils anciens d’un confort absolu… » Sans compter un service et une cave très fournie pilotés par Antoine Pétrus, l’un des meilleurs directeurs de salle de sa génération.
Si, à l’instar des écuries de formule 1 financées à grands frais par de puissantes marques automobiles, la grande cuisine est en passe de devenir le nouveau joujou de l’industrie du luxe, certaines toques ne bâtissent leur maison que sur leur réputation triplement étoilée. Il y a moins d’un an, Guy Savoy déménageait quai Conti, à l’hôtel de la Monnaie, après plus de cinq ans de travaux titanesques. Anne-Sophie Pic ne cesse de réinventer sa maison familiale de Valence (Drôme), de sa cuisine flambant neuve d’un blanc immaculé à la vaisselle savamment étudiée, en passant par le service en salle qui remet au goût du jour de nombreuses préparations sous les yeux des convives.
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Voilà un précepte que ne renierait pas Jean-François Piège, autre figure majeure du paysage gastronomique parisien. Lui n’a pas hésité à baptiser son nouvel établissement, à deux pas de la Madeleine, « le Grand Restaurant ». « Il y a dix ans, je n’aurais pas osé ce nom, explique l’ancien chef de Thoumieux. Aujourd’hui, c’est un pied de nez aux cuisiniers de ma génération et aux jeunes de ma brigade, qui préfèrent souvent ouvrir un bistrot par sécurité. J’ai eu envie de montrer qu’on pouvait transformer une ancienne pizzeria en un univers personnel, un lieu ambitieux, inspiré et inspirant. » Le chef de 45 ans est bien trop malin pour ne pas prendre le grand restaurant au pied de la lettre: il propulse les codes du chic français dans le XXIe siècle.
Passé la dentelle métallique de la porte d’entrée en forme de plan de Paris, le convive arrive par la cuisine ouverte calfeutrée derrière des blocs de marbre de Carrare, puis il découvre une salle à manger mêlant noyer américain et béton, sous une impressionnante verrière géométrique. Les garçons sont chaussés de Weston, les appliques sont en cristal Baccarat et les carafes à eau sont signées Dior. Quant au rituel de dégustation, il incarne l’héritage des grandes maisons tout en allégeant le protocole : pas de chariot de fromages empesé, mais un podium aux lignes design, une grande carte qui redonne le choix au client mais estampillée, sur une dizaine d’intitulés, de la mention « mijoté moderne ». « Hier, pour préparer une côte de veau, on la salait, on la marquait et on ajoutait des parures pour lui donner plus de goût. Dans ma cuisine, je la cuis sur des coquilles de saint-jacques qui l’embaument et je prépare à côté une ‘eau de noix’ avec laquelle je déglace des cèpes pour obtenir un formidable jus qui accompagne la viande. » Résultat: une cuisine française à la fois limpide et concentrée, à l’aise dans ses goûts et ses sucs. Ticket moyen par personne: 250 euros. Et on est loin de certaines additions parisiennes…
Un laboratoire d’influences, à prix d’or
Le prix de la grande cuisine: c’est peut-être là que le bât blesse. « Aujourd’hui, dans certains grands restaurants, on dépense un smic à deux. Qui peut se payer ce genre de menus? Surtout de riches étrangers… » explique Laurent Seminel, fondateur de Menu Fretin, une maison d’édition culinaire spécialisée dans la gastronomie. Le grand restaurant, petit monde en vase clos? « Non, précise-t-il, le grand restaurant reste un formidable laboratoire qui influence notre alimentation au quotidien. On ne mangerait pas aujourd’hui de coulant au chocolat sans Michel Bras, on ne s’intéresserait pas tant aux légumes anciens sans Alain Passard, on n’aurait pas la même approche des épices sans Olivier Roellinger. » Le grand restaurant serait donc aussi frustrant et féerique qu’une maison de couture : peu de clients dans l’atelier, une foule devant la vitrine.