La Bourse et la Vie, Paris : « Ne plus inventer, mais faire » (Daniel Rose)
09 oct 2015
Catégorie : À la petite cuillère, Bonnes adresses, Chefs
Longtemps, ce fut La Bourse ou la Vie, gargote à steak-frites, bourguignon, parmentier, andouillette. C’est maintenant La Bourse et la Vie. Qui a changé le titre ? Nul autre que le nouveau patron, Daniel Rose, chef de Spring : « C’est La Bourse et la Vie et non La Bourse ou la Vie parce que c’est fromage et dessert et non fromage ou dessert, explique-t-il. Je ne voulais pas changer la tradition, juste l’aménager de façon à peine perceptible. Et puis, ajoute-t-il, pince-sans-rire, je ne voulais pas avoir à chercher un nom compliqué comme Spring. »
Depuis bientôt dix ans, ce natif de Chicago joue une partition culinaire originale. Il ne fait rien comme les autres et ça lui réussit, car il est aussi sage que bon cuisinier. À force de lectures, de recherches, de mitonnages, de jus et de fonds, il retrouve l’essence d’une cuisine française bourgeoise que beaucoup ici ont perdue, tandis que nos médias, toujours à courir derrière l’innovation, passent régulièrement à côté de lui. Le public, américain ou français, ne l’entend pas de cette oreille, car Spring est toujours plein à craquer, et La Bourse et la Vie est bien parti pour lui emboîter le pas.
La salle est élégante avec ses chaises Thonet, ses tons vert-de-gris et ses moulures néoclassiques. Au fond de cet espace sombre et douillet, la cuisine lumineuse attire l’œil : Marie-Aude, la compagne de Daniel, y travaille avec Andy (le chef), Harry et Narcisse, rescapé de l’ancienne équipe. « Il y a eu neuf mois de travaux, dit Daniel. On a tout rasé, tout reconstruit, mais on a gardé les moulures de 1823, quelques miroirs d’origine et une partie de l’équipe, dont le plongeur. On voulait que tout, décor et cuisine, ait l’air d’avoir toujours été ainsi. C’est le même répertoire bistrot que nous servons, un peu arrangé à notre manière. »
De gauche à droite : Daniel, Andy, Narcisse, Marie-Aude et Harry.
Admirateur attentif de la cuisine française, Daniel se concentre sur la richesse des traditions et laisse aux autres la course à la créativité. « Notre parti pris culinaire : ne plus inventer, mais faire. Passer plus de temps à cuisiner qu’à créer. C’est une tout autre démarche qu’à Spring, mais c’est aussi la liberté. » Saisissant une des grosses gougères dorées auxquelles ont droit toutes les tables, il la casse en deux pour révéler sa texture riche et alvéolée. C’est la recette de qui ? « De personne. On a pris la recette de base de la gougère et on a rajouté du fromage. »
Voilà, c’est tout simple, du moins en apparence. Respecter un classique en accentuant ce qu’il a de meilleur. Il arrive, dans nos vies, qu’on se dise : Où trouver un bon maquereau au vin blanc, de bons poireaux vinaigrette ? – Qui fait un bon pot-au-feu de nos jours ? – Il y a longtemps que je n’ai pas mangé un vrai steak-frites – J’ai envie d’une crème caramel. La Bourse et la Vie se plaît à cocher toutes ces cases. Le pot-au-feu est de veau, avec légumes frais, os à moelle, quasi rosé tranché au dernier moment, cèpes de saison, croustillant de tête de veau et un bouillon suave et complexe, véritable élixir de bien-être.
Le maquereau au vin blanc est soyeux, finement acidulé, juste caressé par la marinade. Le poireau-vinaigrette arrive couvert de noisettes grillées. Le steak est une belle pièce du boucher tendre et maturée, taillée entre le faux-filet et l’entrecôte, accompagnée de frites blondes et légères et de juste assez de sauce au poivre vert : c’est l’archétype du steak-frites parisien, celui qu’on croyait disparu.
On en est encore comme deux ronds de flan quand arrive la crème caramel, riche et onctueuse (à la crème normande). Et le sorbet thym citron aux copeaux de chocolat ravit les convives en quête de fraîcheur. Les très beaux vins sont versés par Guillermo, le chef de salle ; ce jour-là, c’était un magnifique saint-émilion 2012 du clos des Abbesses.
Sur une ardoise, bien en vue, une inscription à la craie : If it is not a little too much — it’s not enough. « S’il n’y en a pas un petit peu trop, c’est qu’il n’y en a pas assez » : il est clair que chacun ici connaît ce principe sur le bout des doigts. Autre principe qui est une bonne nouvelle : vous pouvez prendre ici le petit déjeuner, avec café-calva si vous voulez. Le restaurant a beau être petit, il est bourré de surprises.
Sophie Brissaud
La Bourse et la Vie – 12, rue Vivienne Paris IIe. Tél. 01 42 60 08 83. Métro Bourse, Pyramides. Ouvert du lundi au vendredi 8h30-10h30, 11h45-14h et 19h-22h. Environ 40-50 € sans les vins, petit déjeuner 5-10 €.