Olivier Roellinger : » La cuisine est au carrefour des enjeux de nos sociétés … «
26 juil 2015
Catégorie : Actualité Chefs & Restaurant, Chefs, Presse & Médias
Olivier Roellinger livre une chronique sur le leparisien.fr sa démarche est simple, transmettre sa » conscience environnementale » aux chefs de cuisine et notamment à ceux des Relais & Châteaux pour qu’ils s’engagent à préserver leur environnement, l’agriculture qui leur fournit les bons produits, le pêche qui alimente leurs plats… Chacune des actions entreprises est une pierre de plus à l’édifice de la préservation de notre planète, avec toute la sincérité et l’engagement qui l’habite, le chef explique comment il veut peser sur les décisions politiques.
Entretien au chevet d’un monde malade …
La chronique de… Olivier Roellinger
« Caseyeurs, pêcheurs de bars, conchyliculteurs, ostréiculteurs, pêcheurs côtiers ou hauturiers… Chaque pêcheur a sa spécialité. J’ai toujours habité à Cancale et depuis 40 ans, j’en ai vu un grand nombre disparaître, tout simplement parce que la ressource était surexploitée.
A mes débuts, quand j’arpentais les marchés, les quelques maraichers bio y étaient traités d’extrémistes, de sectaires, d’illuminés. Pourtant, bien avant nous, ils avaient compris le sens que prenait la Planète. J’ai constaté les ravages des pesticides sur les agriculteurs, j’ai vu mourir prématurément certains d’entre eux, si jeunes… J’ai constaté les dégâts de l’élevage intensif de volailles et de porcs dans nos régions. Au fil du temps, ma conscience environnementale s’est éveillée.
Ma conscience environnementale s’est éveillée
En étant en permanence aux côtés de ces hommes, côté mer, comme côté terre, je me suis rendu compte de la pression que nous faisions subir aux sols et aux ressources halieutiques. Avec la coquille Saint-Jacques, nous sommes passés à côté d’un désastre : elle n’a été sauvée qu’in extremis, grâce à une gestion ultra rigoureuse.
Mais les petits requins type requin hâ (Galeorhinus galeus) ou roussette, présents sur nos côtes il y a 50 ans ont disparu, tout comme au large, le requin peau bleue (Prionace glauca). Or ce sont des animaux qu’il faudrait préserver à tout prix. Je n’ai d’ailleurs jamais proposé ces poissons sur ma table de restaurant.
J’ai cessé de cuisiner le thon rouge de Méditerranée et d’Atlantique sud parce qu’il est en danger et je ne sers pas de bar en hiver. Je suis engagé aux côtés de Seabweb Europe pour promouvoir une pêche responsable …/… La mer est une immense forêt, un écosystème, une matrice avec des espèces interconnectées. En supprimer une seule, c’est mettre tout un système en danger. Y compris nous-mêmes.
La mer mais aussi la terre et sa Bretagne
J’ai fait certifier Demeter mon « Champ du Vent », un terrain où je cultive des fruits et légumes, j’ai planté 36 variétés de pommiers dont parfois nul ne connaît le nom ! J’y ai installé des ruches, car sans abeilles, la pollinisation ne se fait pas.
En 2010, en devenant vice-président de l’Association internationale Relais & Châteaux …/… est né le Manifeste Relais & Châteaux, que j’ai présenté à l’UNESCO le 18 novembre 2014. Tous nos membres s’engagent à respecter la saisonnalité des fruits et légumes de leur région/pays, prônent la pêche responsable, s’assurent que les poissons ont la taille réglementaire et ne sont pas pêchés en saison de fraie ou de ponte ou par dragage des fonds marin.
Étrangler les fournisseurs ne sert personne au final
La dimension humaine et équitable n’est pas oubliée : étrangler des fournisseurs en cherchant les prix les plus bas ne sert personne au final. Il faut que chacun puisse vivre de son travail, que ce soit en France, mais aussi dans des pays comme Madagascar où on trouve le poivre, où en Afrique ou Asie d’où vient une foultitude d’épices.
En tant que Chefs, nous avons le devoir d’exemplarité, nous devons créer un mouvement pour célébrer le bon et le beau. Le cuisinier est une sentinelle de son environnement et depuis une dizaine d’années, les clients nous demandent d’où viennent les produits qu’ils mangent, comme ils ont été élevés, pêchés ou récoltés.
Autrefois, sole, turbot et rouget étaient prisés. Nous avons éduqué le palais des consommateurs en leur proposant lieu jaune, chinchard, maquereau. Les clients ne font pas de caprices. Ils ont du bon sens et ne réclament pas des fraises des bois ou des cerises à Noël.
Le cuisinier est une sentinelle de son environnement
L’hiver, nous servons des légumes oubliés : topinambour, courge, chou-rave, salsifis, panais, rutabaga, crosne… Dans les écoles, j’explique aux enfants que si la forêt mexicaine avait été détruite avant 1850, le monde n’aurait jamais découvert le parfum de la vanille, je raconte que si on extermine le petit colibri ou l’abeille qui féconde encore la vanille dans cette toute petite partie du pays, alors l’Humanité perdra tout un pan de biodiversité.
La cuisine est au carrefour des enjeux de nos sociétés, elle conjugue environnement, santé publique et responsabilité éthique et équitable. Notre engagement ferme vis-à-vis du thon rouge par exemple a pesé dans les décisions de Bruxelles pour sa protection.
Si les chefs d’état ne sont pas capables de prendre des décisions fortes en matière d’environnement, alors que les chefs de cuisine prennent en main les domaines sur lesquels ils peuvent intervenir. Nous avons la responsabilité de jouer un rôle moteur. »
Propos recueilli par Martine Carret, de l’Agence Créative CulturElle