Le Fooding fête ses 15 ans … Alexandre Cammas : » Si la France n’est plus considérée comme le pays de la gastronomie, c’est évidemment à cause du Michelin. «
04 juin 2015
Catégorie : Non classé, Presse & Médias
Le fooding fête ses 15 ans à Paris ces 5, 6 et 7 juin, c’est forcément et heureusement sur Télérama que nous allons tout savoir sur le Fooding, son origine, son ADN, et ce qu’a dans la tête celui qui en est à l’origine Alexandre Cammas…
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Réservations sur : http://bit.ly/revanchefaubourgs
Retrouvez l’interview sans langue de bois d’Alexandre Cammas ci-dessous…
Extraits, cliquez sur le link ci-dessus pour retrouver l’intégralité de l’interview :
copyright photo Claire Cocano pour Télérama
Gastronomie
“Le guide Michelin est l’ennemi de la cuisine vivante française”, Alexandre Cammas, fondateur du Fooding
Observateur des (r)évolutions culinaires, le Fooding a accompagné l’éclosion d’une génération de chefs désireuse de s’émanciper du “guide rouge”. A l’occasion des 15 ans de “l’agitateur culturel”, retour sur un parcours haut en couleurs avec son volubile créateur.
Au départ, il s’agit d’un bon mot lâché dans une chronique de Nova Mag à la fin des années 1990. Au moment où il écrit le néologisme « fooding », Alexandre Cammas est loin de se douter qu’il va enfanter d’un guide gastronomique. Lassé de l’aristocratie culinaire, il convainc son mentor Jean-François Bizot de publier un hors-série récréatif et impertinent début 2000. Son ambition ? Promouvoir les chefs « libérés » (des codes imposés par le Michelin) qui investissent les bistrots et décloisonnent la gastronomie pour la rendre accessible.
Si le Fooding est reconnu pour sa capacité à décrypter les tendances avec justesse et à repérer les tables « authentiquement sincères », la course à la nouveauté fait néanmoins grincer quelques dents. Est-il juste de mélanger dans un palmarès une cantine de quartier et un grand restaurant ? Choisissez votre camp.
Quinze ans après le début de l’aventure, nous avons souhaité rencontrer Alexandre Cammas, pour balayer l’histoire agitée du Fooding, de son acte de naissance à l’avènement du « cool en cuisine ». Sans éluder les dossiers plus sensibles.
Aux origines du guide, il y a la rencontre avec Jean-François Bizot vers la fin des années 1990. D’ailleurs, vous écrivez pour la première fois le mot « fooding » dans une chronique de Nova Mag.
Pendant un an, je me suis occupé de la page resto de Nova Mag. Dans le même temps, j’effectue plusieurs allers-retours à Londres, où ça bouge énormément. C’est à ce moment-là que je lui propose de publier un hors-série sur les restos.
Comment parvenez-vous à le convaincre ?
En lui parlant de l’édition londonienne du magazine Time Out, de son ton moderne et décalé. Bizot est séduit. Je me retrouve à travailler jour et nuit dans son château, à Saint-Maur. Entre les feux de cheminée et le rosbif à 4 heures du matin, il m’apprend le métier. Tout le monde a le droit de taper sur l’ordinateur. C’est ma plus grande leçon de journalisme et… de liberté. L’acte fondateur du Fooding.
Jean-François Bizot aimait-il « la bonne bouffe » ?
L’idée d’en parler différemment, ça l’éclatait. Il était sensible à tout ce qui pouvait être nouveau et intéressant. Surtout, il fallait en découdre avec les vieux poncifs et l’arrière-garde gastronomique.
Le hors-série sort en kiosques début 2000.
Et il marche plutôt bien ! Sur la couverture, il est écrit : « Nova Fooding : boire et manger with feeling ». L’expression est de Jean-François, pour séduire le lectorat anglo-saxon. C’est la définition de la cuisine que l’on veut défendre : une cuisine d’auteur, sincère et authentique, qui ne rentre pas dans les cases préétablies par la grande gastronomie nationale. Il faut libérer les chefs !
Qui est de l’aventure au départ ?
En décembre 2000, on bricole une « semaine du Fooding » avec Emmanuel Rubin, Julie Andrieux, Jean-Christophe Napias… On organise un débat avec des chefs et des critiques gastro autour du thème : « Va-t-on au resto pour manger les rideaux ? » La question dérange. Dire que l’on va au resto également pour l’ambiance, le contexte, le cadre… C’est tabou.
A ce moment-là, vous considérez que la gastronomie parisienne est en « phase de stagnation ».
A cette époque, en dehors des bistrots à thème où l’on mange du pot-au-feu, des cantines asiatiques et des pizzerias, les gens mangent super mal dans les restos à la mode tenus par des noctambules ou très bien mais très cher chez les grands chefs.
“On a créé un contre-pouvoir qui permet à des chefs d’exister autrement qu’en rentrant dans les cases du guide Michelin”
Fin 2000, vous organisez la soirée de remise des prix du guide 2001 à l’Alcazar. Quelle est l’ambiance ?
Dans le milieu de la culture, personne n’attend rien de la gastronomie et subitement cette soirée un peu folle intervient avec de la bouffe qui arrive de partout. Rapidement, je comprends que l’on va avoir deux « ennemis » : les anciens qui nous harponnent au prétexte que l’on récompense aussi bien un kebab qu’un étoilé et les branchés, qui se détestent entre eux.
A quel moment sentez-vous qu’il va y avoir du changement ?
L’esprit du Fooding, ludique, créatif, prescripteur… est né en décembre 2002 pour la soirée de remise des prix du guide 2003. On installe du vrai gazon dans le Palais de Tokyo, des frigos numérotés avec de la bouffe dedans, des DJs… C’est du délire. Je sens que notre métier va être d’ambiancer le milieu de la gastronomie.
Quand intervient le basculement, du côté des chefs ?
Pour le guide 2004, il se passe un truc : le restaurant La Famille ouvre sur la butte Montmartre avec un jeune chef encore inconnu qui s’appelle Inaki Aizpitarte, l’Ami Jean est repris par Stéphane Jego et le Café des épices d’Arnaud Carton de Grammont se lance à Marseille. Dans leurs bistrots, ces cuisiniers vont tenir la dragée haute aux étoilés. Grace à eux, la bouffe devient vachement plus accessible et sexy.
Qu’est ce que le Fooding aujourd’hui ?
C’est un média qui emprunte toutes les voies possibles pour communiquer, avec un point de vue éditorial sur les choses. Les grands journaux ont tardé à le comprendre mais l’événementiel est un média, au même titre que le web et le print. Dans la continuité de ce que m’a appris Bizot, on recherche la nouveauté, en étant à l’avant-garde, en fuyant les marronniers.
Quelle est la mission principale du guide ?
Notre boulot consiste à sélectionner toutes les adresses authentiquement sincères, qu’elles soient hyper créatives ou très classiques. Une parole peut-être authentique dans la modernité comme dans la nostalgie. La révolution culinaire qui a eu lieu est sans rapport avec ce qui s’est passé dans l’assiette : elle est essentiellement dans l’attitude des chefs, dans leur émancipation, dans la liberté de faire ce qu’ils veulent. Je pense que l’on a créé un contre-pouvoir qui permet à des chefs d’exister autrement qu’en rentrant dans les cases du guide Michelin.
Existe-t-il une charte de « bonne conduite » ?
Claude Lebey [journaliste gastronomique, NDLR] me l’avait recommandé. Et heureusement, on ne l’a jamais fait ! La sincérité et l’authenticité sont les mots clés du Fooding. La question à se poser est la suivante : « Est-ce que tu manges dans un établissement tenu par des passionnés ou par des gens qui font juste un business plan pour remplir leur restaurant ? » Le cahier des charges n’existe pas réellement. C’est pour cela que cohabitent des kebabs et des restos gastro.
Quels sont les chefs qui incarnent le mieux l’esprit Fooding ?
Yves Camdeborde a été le premier à montrer qu’une autre voie était possible, avec une approche assez classique de la cuisine. Il a eu l’intelligence d’intégrer des produits moins nobles sur sa carte. Un autre mec du Sud-Ouest est allé encore plus loin, c’est Inaki Aizpitarte. Il ne fait aucune concession et obtient l’adhésion sans chercher à plaire, c’est un homme immensément libre. J’ai un respect et une admiration énormes pour ces deux hommes.
Diriez-vous que le guide est arrivé au bon moment ou qu’il a surfé sur une tendance ?
Il n’est pas arrivé au bon moment puisqu’au départ, on n’arrivait pas à trouver les adresses qu’on aurait aimé réellement défendre. On a beau dire aux grands chefs qu’il se trompent dans un édito, c’est insuffisant pour faire un guide. Aujourd’hui, il trouve toute sa raison d’être car Paris, les grandes villes françaises et les campagnes se « foodinguisent ». Il y a de l’actualité pour notre guide chaque semaine partout en France, avec des adresses super excitantes et innovantes.
Comment abordez-vous le numérique au Fooding ?
La question du digital au Fooding, c’est un work in progress. Par exemple, nous partageons nos trouvailles sur notre compte Instagram qui a gagné pratiquement 20 000 followers en six mois. Aujourd’hui, ça ne serait pas rentable de publier un hebdo papier sur la bouffe. L’actu brûlante est relayée par la newsletter et les réseaux sociaux.
Notre site web gratuit [en ligne depuis 2005, NDLR], l’appli payante [30 000 téléchargements revendiqués en 2014, NDLR] et le guide papier visent la personne de 60 ans qui veut rester connecter comme l’étudiant de 25 ans. Ce jeune public, on le « ramasse » au moment où il devient client de restaurant.
Parlons des sujets qui fâchent. En 2011, vous avez décerné un « prix du meilleur décor » au Dauphin alors que le restaurant était en travaux. Vous regrettez ?
Sur cette histoire, on a été hyper content d’apprendre qu’un grand architecte valide la démarche d’Inaki Aizpitarte. Rem Koolhaas a été le premier à dire : « Je vais quitter le 8e arrondissement pour investir un bistrot à l’est ». Symboliquement, c’est très fort. On a eu envie de le dire. J’ai envoyé un journaliste pour visiter le chantier, en sachant que le resto allait ouvrir après le bouclage du guide. J’assume cette décision.
Mais du coup, vous comprenez les accusations de copinage ?
Il faut bien noter que l’on a remis ce prix sur un élément qui ne concerne pas la nourriture. On ne va jamais manger dans les restos avant leur ouverture et nos journalistes ne se font jamais inviter en déjeuner de presse. Quel autre guide gastronomique paye toutes ses additions et le prouve ?
On vous reproche de mal rémunéner vos chroniqueurs. Vous confirmez ?
Le journalisme paye mal aujourd’hui. On peut faire le procès de la presse en général. Avec une économie assez dérisoire, il n’y a pas une seule personne qui n’a pas été payée au Fooding [la critique est rémunérée 60 euros net, NDLR]. Et puis l’air de rien, c’est une super carte de visite.
Revenons au guide. Quand on observe votre palmarès annuel, il tranche souvent avec celui de vos concurrents. Comment l’analysez-vous ?
Notre palmarès ne se construit pas sur la durée, il s’agit du goût de l’époque. On regarde le classement du Michelin pour constater si des restos sélectionnés par le Fooding ont obtenu une étoile, afin de les féliciter. Omnivore et Gault & Millau, on ne les ouvre pas.
Admettez que le Fooding met un point d’honneur à se démarquer du Michelin.
Au départ, c’est l’ADN du Fooding. Si la France n’est plus considérée comme le pays de la gastronomie, c’est évidemment à cause du Michelin.
Est-ce vraiment juste de dire ça ?
Pour que les grands médias parlent de gastronomie, il faut une étoile. L’année dernière, les journaux télévisés ont ouvert avec un restaurant tropézien qui a obtenu sa troisième étoile [La Vague d’Or, NDLR]. Le Fooding n’envoie pas ses lecteurs à Saint-Tropez débourser 300 euros dans un menu. Est-ce que ça incarne le renouveau de la gastronomie ? Evidemment que non. Le Michelin est l’ennemi de la cuisine vivante française.
Que reprochez-vous aux « grands chefs étoilés » ?
Les business plans de Guy Savoy et consorts élaborés dans les années 1980/90 sont archaïques. Ces chefs doivent défendre l’hypothétique suprématie de la gastronomie française. Ils n’ont pas envie de retourner en cuisine et d’ouvrir des bistrots. Mais en réalité, qu’est ce qui bouge ? Quand Jay-Z vient à Paris, il va manger au Septime, pas chez Ducasse !
Vous remettez donc en question le classement du Michelin ?
Je pense qu’il y a des restaurants sous-côtés, comme la Grenouillère. C’est un comble que le guide Michelin ne soit pas capable de reconnaître le talent d’Alexandre Gauthier [La Grenouillère possède 1 étoile au Michelin, NDLR]. Si on cherche un nouveau Noma, c’est évidemment la Grenouillère. Le seul restaurant français total, pensé avec une expérience globale : la vue, le cadre, les produits, le sourcing, le spectacle… Il paye sa liberté au prix fort.
Aujourd’hui, la gastronomie est reconnue en tant qu’acteur culturel. Pensez-vous que le Fooding y a contribué ?
…/… « le Fooding est à la gastronomie ce que la Nouvelle vague a été au cinéma ».
Quel constat dressez-vous du paysage gastronomique français actuel ?
L’univers de la gastronomie a rarement été aussi exaltant. …/…