Marc Veyrat, interview vérité !
01 sept 2013
Catégorie : Presse & Médias
Beaucoup les croyaient à la fin d’un cycle tous les deux, que ce soit Veyrat le chef qui avait annoncé de nombreuses fois son retour, ou F. Simon le journaliste qui a annoncé quitter le Figaro prochainement. Deux personnalités atypiques et quelque part semblables qui ont toujours remué le microcosme de la restauration française. C’était sans compter sur leur capacité à rebondir … Et bien voilà, le retour tant attendu du Chef savoyard. Marc Veyrat dans une interview vérité annonce officiellement l’ouverture de son nouveau restaurant, et en cette rentrée des classes pour la presse le retour de François Simon sur un bon coup avec en exclusivité un reportage sur le site du nouveau restaurant du chef. Pour F&S toujours sur les bons coups aussi, nous avons repris l’article que nous vous communiquons ci-dessous.
Suivez le LINK pour retrouver l’article original.
Marc Veyrat, l’éternel retour
EXCLUSIF – Après cinq ans d’absence, le chef au chapeau nous revient aussi sage qu’impatient, avec une (bonne) cuisine : minérale et pastorale. Son restaurant, La Maison des Bois, vient d’ouvrir à Manigod, près d’Annecy !
De notre envoyé spécial à Manigod
Il revient de loin, Marc Veyrat. C’est comme si un camion lui était passé dessus. Une méchante chute de ski, des opérations à la chaîne, le corps fusillé, trituré, rafistolé… Il avait disparu des écrans radars. Plus de déclarations à l’emporte-pièce, de défis idéalistes, de plats pour le show-biz, et cet ego gros comme une montagne. Il devait nous manquer probablement puisqu’il nous est de retour: tout neuf, presque adolescent, les yeux lavés, le cœur candide, la main dessus. Il est à deux doigts de la sincérité et de lui-même. Vous imaginez le chemin parcouru!
À l’entendre, il ne veut plus «émerveiller» dans l’assiette (même s’il y arrive encore) mais y raconter un peu sa vie. Ce «rebelle versé dans l’alimentaire, car bon à rien», aura porté sa croix pendant quatre ans. Il a médité, réfléchi. Et puis pof, voici des plats pastoraux, calmés, minéraux: un œuf somptueux cuit dans la glaise avec carvi et oxalis ; des grenouilles et des jeunes pousses de polypodes (catapultées par un côte-rôtie de chez Clusel-Roch), une tartiflette virtuelle et puis une canette sauvageonne enveloppée dans une écorce de la forêt.
Il y a toujours du spectacle dans la cuisine de Marc Veyrat, du mauvais goût (les coussins des banquettes style boîte de nuit), mais maintenant, le paysage est presque débarrassé. Net. Pas de construction à l’épate, mais un rentre-dedans assagi, concis, portant. Le cadre, une ferme d’hôtes juchée à 1 650 m d’altitude, est rustique dans son bricolage spontané, loin des Fermes de Marie et ses poutres angéliques. Il donne sur les Aravis et un totem à l’effigie du maître des lieux. Ce dernier le regarde presque comme témoin d’une autre époque, celle dont il se débarrasse lentement. Pour rejoindre une autre lumière.
LE FIGARO. – Allez-vous continuer tout votre cinéma avec le chapeau et la cueillette scénarisée des herbes?!
Marc VEYRAT. – Mon chapeau? N’y comptez pas! J’y tiens trop. Je suis trop fier de le porter. C’est mon histoire. Mon grand-père venait me chercher avec à l’école laïque, suivi de son troupeau de chèvres. Il y avait dessus des myrtilles, des fraises des bois. Personne ne pourra me l’enlever. Les herbes? J’ai fait des conneries au début à me laisser filmer par les télévisions. J’ai fait plein de bêtises. Surtout médiatiques. Un peu trop. Ça apprend à vivre.
Comment allez-vous?
Je suis en pleine forme, bien remis de mon accident en 2005. J’avais percuté ma fille en skis avant de manger un pylône et son rocher. J’étais cassé de partout: fractures des lombaires, enfoncement de la cage thoracique, épaule droite cassée, la jambe gauche en vrille, les cervicales en vrac…
Vous êtes un revenant, ou un survivant?
Un peu les deux. Je ne pouvais plus tenir sans morphine. J’ai passé cinq ans sur des béquilles. Or, vous voyez, je suis un chef en cuisine, moi. Je ne triche pas. Quand on apporte une addition musclée comme les nôtres, on se doit d’être là. Je ne me vois pas filer les clés des fourneaux à un second et me balader partout. Il faut que je sois là. Sinon à quoi ça sert?! J’ai dû vendre la ferme de mon père à Megève. Je dirigeais 140 personnes, et, tout à coup, je n’avais plus rien. Je suis devenu tout petit. Ça a été un choc. Un chirurgien d’Annecy m’a loupé royalement ; le Pr Chambat, de Lyon, m’a repris. Il a retiré de mon corps un tas de ferrailles. Et me revoilà!
Aujourd’hui, vous allez vraiment ouvrir votre restaurant?
Ah, oui! J’ai fait trois ans de travaux ici. J’ai le syndrome des architectes: rien n’est jamais vraiment fini. Mais là, ça y est! C’est reparti! J’ai encore mon restaurant à Veyrier-du-Lac, que loue un jeune chef brillant, Yoann Conte. C’est un peu mon fils spirituel. Cet établissement porte encore le nom de La Nouvelle Maison de Marc Veyrat. On va revoir ça. Ici, nous serons une cinquantaine à travailler autour du restaurant, la Fondation, le laboratoire… Et puis, à côté, je collabore avec Redzel, un spécialiste suisse des condiments et GL Events, qui travaille dans l’événementiel (Madonna, les Bocuse d’or.).
Et Paris, c’est fini, cette fois?!
Bah, un jour, on m’a dit: n’y va pas, c’est pas fait pour toi. On avait raison. Cela dit, j’ai toujours un projet en cours de petite restauration. Des food trucks Marc Veyrat. Et puis, je vais vous dire, lorsque je vois un jeune en cuisine partir dans le bois ramasser du carvi, c’est mieux que de descendre à l’économat en troisième sous-sol demander du cumin. Ici, nos œufs n’ont pas de numéro sur la coquille!
Et Pékin, la Tchéquie, le fast-food bio?
Pfuit, la crise ne m’a pas aidé. Dépôt de bilan à Pékin, où je servais une cuisine totalement décomplexée. J’aurais dû faire comme Daniel Boulud, du classique. Sa maison marche du tonnerre. Il a tout compris. J’ai pêché par vanité créatrice. Pareil pour le fast-food. Cela dit, le restaurant de ma fille tourne bien maintenant, c’est elle qui s’en occupe totalement. On ne peut pas gagner tout le temps. Là aussi, j’ai beaucoup appris!
Quoi?
À 63 ans, je ne veux plus rester le nez dans le guidon. Je veux pouvoir prendre le temps de dire aux gens qui m’entourent que je les aime. Je veux me rapprocher des clients et plus que jamais de la nature. Elle est maintenant mon repère intangible. Pour un chef, c’est là que réside la vérité. La révolution de la cuisine française se fera de la sorte: débarrassée et environnementale!
Et les trois étoiles, les guides, les médailles en chocolat?
Ils feront ce qu’ils veulent. Moi, je veux avoir la paix. Être tranquille. J’en ai soupé des sommeliers qui vous prennent pour des nuls, des maîtres de salle qui vous prennent de haut. On aspire à la simplicité, à la nature. Et puis, les choses ont changé: Internet avale toutes les informations ; les gens changent aussi, ils ne veulent plus entendre de bobards. C’est pour ça un peu que j’ai remplacé les serveurs par des cuisiniers. Eux, au moins, ils savent ce qu’il y a dans l’assiette! La vaisselle sera régionale. C’est ma femme, Caroline Raphaneau, qui l’a créée. L’argenterie, tout ça, c’est fini!
Fini, fini?!
Les gants blancs, la solennité des donneurs de leçons… ah oui! Et puis, vous allez être content, il y en a ras-le-bol des apéritifs qui traînent en longueur, des mini-portions. Il y a une chose fondamentale que l’on ne reverra plus: les mini-pré-desserts!
Passer au bio après le moléculaire, c’est de l’opportunisme ou du bon sens?
Le moléculaire, c’était une des erreurs de ma vie. Je veux bien en faire encore, mais avec des produits bio… C’est la seule façon de sauver l’environnement. Quand je vois que même ici les abeilles (j’ai une vingtaine de ruches), elles calanchent, tant les sols sont pollués. Il me faut aller à… Paris pour dégoter des essaims! Bravo, Delanoë! Mon accident m’a fait prendre encore plus conscience de tout cela. Quand on est soi-disant les ambassadeurs du bon goût et tout le blabla, il faut assumer. Avec le moléculaire, je réalise que j’étais dans un parcours de mode.
Vous ne trouvez pas que les chefs sont gentiment ambigus à vanter le «bon vivre» et battre la monnaie avec les industriels? Les jambons sous vide Madrange que vous promouvez, c’est pour le paradoxe ou l’argent?
Premièrement, l’argent nous arrange bien. Deuxièmement, je n’ai jamais fait de pub pour un produit à l’élaboration duquel je n’ai pas participé. Je suis très fier d’avoir contribué à rendre ce jambon meilleur pour la santé…
Alors que vous avez un réel potentiel personnel, pourquoi avez-vous pioché vos inspirations ici et là: Ferran Adria, Jacques Maximin, etc.?
Je suis assez d’accord. Ça aussi, c’est une des erreurs de ma vie. La vérité surréaliste, ça te tombe dessus. On s’est polarisé sur la cuisine moléculaire en ne faisant que du moléculaire. On devrait juste la considérer comme une des méthodes de cuisine parmi d’autres, garder la facilité de l’azote, par exemple. La panacher avec la cuisine vapeur, grillardine (plancha, grill, rôtisserie)… Dix-sept plats d’affilée avec une paille, ça va un moment!
Où en êtes-vous avec les autres chefs? Les associations, les bandes?
Coupé, fini, je suis tout seul. Proche de Paul Bocuse, cela me va très bien: il vient la semaine prochaine. J’ai encore des copains… Mais ce qui me tente, c’est la transmission auprès des enfants et des jeunes chefs. Le reste…
Maison des Bois, col de la Croix-Fry, 74230 Manigod. Tél.: 04 50 60 00 00. Marcveyrat.fr (site en cours de construction). Mail: contact@marcveyrat.fr
Crédit photos : F. Simon