Moralisation – la cuisine Française est-elle touchée ?
15 avr 2013
Catégorie : Chefs
Moraliser. Moralisation. Ce sont des mots (ou des maux) très en vogue en ce moment, il faut moraliser la vie politique, il faut moraliser le milieu des affaires, il faut moraliser le milieu de la finance, … alors, pourquoi ne pas moraliser aussi la cuisine française ?
C’est donc dans un contexte de Grande Moralisation Nationale que lundi dernier que le Collège Culinaire Français qui regroupe une quinzaine de grands chefs étoilés reconnus, a lancé une petite bombe médiatique qui secoue tout à coup l’univers de la cuisine française. Une plaque ‘ Label » certifiant que les chefs qui l’obtiendront servent des plats réalisés dans leurs cuisines par des restaurateurs artisans dans leurs cuisines. Cette appellation « fait maison « serait apposée devant la façade des restaurants sous l’appellation » Restaurant de Qualité « .
Une initiative tout à fait respectable sur le fond pour rassurer les consommateurs et confirmer la place des vrais cuisiniers de métier. Mais lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre (elle est loin d’être claire), on se rend compte que finalement c’est une contrainte de plus pour les restaurateurs. D’autant qu’elle engendre déjà des avis opposés dans la profession et dans l’univers des chefs, alors que l’époque serait nécessairement plus au rassemblement.
Premier problème majeur :
Un chef censeur dans chaque région devrait juger si un autre chef mérite de conserver cette plaque sur sa façade. C’est en tout cas ce qu’annonce le Journal de l’Hôtellerie : » En parallèle, dans toutes les régions, des chefs référents seront investis d’une mission, celle de garantir, s’il y a un doute, que les engagements pris par le restaurateur soient bien respectés. Pour être crédible aux yeux des clients, un contrôle même organisé par ses pairs est essentiel « .
Une mise sous surveillance de plus
Non seulement les restaurants sont déjà jugés par les clients sur le net et maintenant sur les blogs, mais ils sont aussi jugés par la presse, par les guides gastronomiques, ils sont contrôlés par les services de l’état, maintenant ils seraient en plus surveillés par un système mis en place par des chefs eux-mêmes … et de plus payeront pour être jugés.
Un monde virtuel
365 euros par an (1 euro par jour) pour une plaque qui sera obtenue par cooptation, sans véritable organe de contrôle, si ce n’est un site internet qui recensera les avis des consommateurs et devra afficher au moins 75 % de taux de satisfaction. A terme 10 000 adhérents seraient visés ( soit 10 000 euros de revenus par jour qui seront utilisés comment ? ).
Deuxième problème majeur: qui contrôlera et modérera ces avis des consommateurs ? … sachant pertinemment que les restaurateurs eux-mêmes pourront poster des avis favorables les concernant et de mauvais avis sur certains établissements, pour par exemple, dénoncer les achats de produits semi-élaborés de leurs collègues et voisins chefs.
Après ceux qui nous expliquent ce qu’il faut faire pour sauver la gastronomie française, les guides gastronomiques qui naviguent encore sur des codes de jugements d’une autre époque, les réglementations contraignantes de nos chers dirigeants, nous aurions maintenant un label de plus pour être qualifié ou disqualifié – ce qui voudrait dire que les autres restaurants qui ne demanderont ou n’obtiendront pas le label seront de mauvaise qualité ?
Troisième problème majeur : une fois posée la plaque sur la façade du restaurant, même millésimée, qui ira la faire retirer, si le restaurateur ne paye pas sa cotisation annuelle, où si la commission estime que l’établissement ne la mérite plus ? …. un huissier ?… On voit souvent des établissements qui ont été revendus plusieurs fois et gardent leurs plaques depuis de nombreuses années alors qu’ils ne sont pas de qualité.
L’idée est certainement bonne, le combat est juste, mais la copie est à revoir… Cela fait quand même penser à une loi passée en force, sans concertation, sans dialogue, sans consensus.
Pour obtenir le label, il faudra forcément justifier…. et demander de justifier, n’est ce pas Moraliser et perdre encore une liberté qui est chère à tout les Français ?
Alors pour le Blog Pourcel, nous sommes allés voir de plus près sur la toile et sur la presse ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre ….
Comme toujours à vous de juger et de vous faire votre propre opinion.
Revue de Presse :
Nadine Lemoine pour le Journal de l’Hôtellerie : Le Collège culinaire de France souhaite fédérer sous une même bannière les apôtres du fait maison avec de bons produits et les garants d’une hospitalité tant recherchée par les clients. Lancement de « Restaurant de qualité ». Promouvoir la qualité de la restauration, en France et dans le monde, c’est la vocation affichée du Collège culinaire de France. Créée en février 2011 à l’initiative de 15 professionnels reconnus et coprésidée par Alain Ducasse et Joël Robuchon, l’association monte aujourd’hui au créneau pour défendre son credo. Elle lance un « mouvement militant » et une appellation. « Restaurant de qualité reconnu par le Collège culinaire de France, www.restaurantdequalité.fr », c’est ce qu’on peut lire sur le panonceau bientôt affiché à l’entrée des établissements.
Anne-Laure Pham pour l’Express : Au final, aucun label « fait maison » n’a encore réussi à conquérir le grand public, faute de cohésion parmi les restaurateurs, mais aussi de moyens financiers et logistiques ad hoc pour des contrôles réguliers. Alors, à quoi se fier? A votre flair et votre palais, pardi. Et aux critiques restos de L’Express Styles. Blague à part, méfiez-vous tout d’abord des menus à rallonge, sans produits de saison: cela signifie que votre adresse a recourt à beaucoup de produits et plats surgelés, tout prêts. Ayez confiance en votre fraîcheur d’esprit!
Francis Attrazic sur le blog NosBonnesTables, Président de l’Association Française des Maîtres restaurateurs “label”, décerné par l’Etat depuis 2008 rappelle qu’ « aujourd’hui, plus de 2700 Maîtres Restaurateurs ont le titre. C’est un label officiel, contrôlé et décerné par l’Etat après un audit externe, démarche volontaire qui valorise le professionnalisme et le “fait maison”», «Veillons à ce que des initiatives ayant à priori le même objectif ne provoquent pas de confusion supplémentaire chez le consommateur»… Francis Attrazic précise aussi que la démarche ne semble «pas suffisamment bordée, cette idée de “grand jury”, ça fait un peu Top Chef !».
La position du chef Georges Blanc est assez tranché sur le site Cuisine en ligne. Pour lui, «c’est comme une porte ouverte que l’on enfonce bruyamment (…). S’en remettre à un organisme certificateur s’appuyant sur une déclaration sans contrôle semble utopique voire sans fondement. Pourquoi devoir payer pour prouver que l’on fait bien les choses ???».
Périco Legasse pour Marianne : Le souci n’est pas d’instaurer une énième hiérarchie culinaire, mais de valoriser l’authenticité d’une prestation. Une idée qui peut impulser un nouvel essor à une profession en manque de repères. Il est toutefois fondamental que le collège ne soit composé que de membres ayant l’autorité pour juger un vrai cuisinier. Le problème n’est pas la subjectivité d’une note, mais la légitimité de son auteur. Tout manquement à cette loi ferait virer le concept à la pantalonnade. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, ne doutons pas que l’univers de la gastronomie française et la bonne presse accorderont toute leur attention à cette audacieuse initiative. Un coche à ne pas laisser filer.
Stéphane Riss sur son site Cuisiner en ligne y voit un pied de nez au guide Michelin : » Parfois, il faut savoir lire entre les lignes : créer un mouvement « militant » qui a pour but de fédérer environ 10 000 établissements en France sélectionnés par d’autres chefs. C’est remplacer l’idée même d’une sélection par l’inspecteur indépendant d’un guide. Il va s’en dire : « Cher Monsieur : à l’avenir, nous nous passerons de vos services et nous donnerons la « bonne » information au grand public ! « .
Simon sur le site du Figaro : Le label «restaurant de qualité»: du réchauffé – Restera à voir comment remonteront les «bonnes» adresses ? Considérera t-on, comme à l’accoutumée, seulement les adresses souples et obéissantes ou alors, entrerons- nous dans une nouvelle ère adulte et mature, avec transparence sur les cartes (origines, conservation…) présence ou non du chef réputé en cuisine… Allez, ne boudons pas notre plaisir. Qui sait, ces plaques émaillées, supplantant habilement la mainmise des guides devraient nous valoir quelques jolis et pittoresques développements. Miam ; que diable!
Simon sur le quotidien Figaro du 13 avril : » les nouveaux labels devraient pouvoir nous guider un peu mieux, mais les voilà si nombreux, contradictoires, hâbleurs, que l’on se croirait, étourdi dans les petites rues de la Huchette avec les bonimenteurs rabattant les chalands. Bref, nous ne sommes pas sortis de l’auberge »
Roland Héguy Président de l’Humih : » L’intention est louable mais cette multiplication des labels est dommageable »
Rue 89 le chef X. Renamur : » … nul doute que cela n’aura aucune incidence sur la manière de travailler des restaurateurs et laissera encore l’immense majorité des citoyens manger opaque une fois la porte de leur domicile franchie. «
jean-louis
15. avr, 2013
Bonjour,
Eh bien Messieurs les chefs cuisiniers, quelle pétaudière, quel labyrinthe et quelle résistance…..je vous soutiens, se laisser imposer par deux des plus grands chefs Français soucieux de ne pas laisser échapper leur image de marque, quelle mascarade. Arrivés en fin de carrière, ils se font les apôtres d’une profession, qu’ils ont effectivement anoblie, mais avec une morgue, une suffisance, intolérable pour les autres vrais cuisiniers.
Moi client, je ne peux me voir imposer, une cuisine coûteuse tous les jours, une cuisine sophistiquée (souvent la même), je veux aussi pouvoir me régaler d’un bon poulet fermier au fin fond de mon Aveyron, sans que AD et JR, me méprisent ou me fassent passer pour un ringard. La cuisine n’est pas uniquement Parisienne, alors laissez moi faire mes expériences moi-même et mourir librement et en bonne santé si je veux.
J’ai été élevé à la mamelle de vrais cuisiniers avec comme apprentissage un, deux ou trois étoiles, par an depuis l’âge de 18 ans (comme client) à cette époque les Rostang, Troigros, Vié, Chapel, étaient plus dans leurs cuisines que dans la com et ensuite Bras m’a ouvert à la vraie nature, Le Centenaire aux Eysies au confort bucolique avec une cuisine de caractère, L’Oasis à La Napoule au temps de ……m’a surpris par la gentillesse, la générosité sans parler de la cuisine de tout le personnel. Bref, j’ai eu souvent besoin de conseils pour bien choisir mais surtout de ceux que j’appelais les « hommes de bouche » rencontrés au gré de mon parcours, ils ont su me donner les bonnes pioches, et je me suis aussi souvent trompé au début, ce fut mon parcours initiatique et il m’a été très utile.
Juste un petit mot, pour deux expériences lointaines, la découverte d’Alain Passard et des frères Pourcel ( non je ne cire pas les pompes et vous le savez) dans les années 91-92, me semble-t-il, un vrai bonheur avec une étoile (peut-être), à un rapport qualité-prix exceptionnel, et la perception de futurs grands talents et surtout une joie de partager le bonheur des clients, et cela on ne l’a qu’à ses débuts, je pense, chez les chefs.
Amicalement.