Dernier service pour » El Bulli « , une page se tourne !
31 juil 2011
Catégorie : Chefs
Tellement de monde a parlé de la fermeture du restaurant El Bulli que c’était difficile d’y croire, et pourtant, l’échéance est tombée, c’est ce samedi 30 juillet que les cuisines du restaurant le plus connu au monde à définitivement servi ses dernières assiettes.
Samedi soir, au terme d’une soirée remplie d’émotion autour de Ferran Adria, le rideau est tombé entouré d’amis, d’employés de longues date et de leurs familles. En servant ses derniers clients, Ferran Adria renonce à ses trois étoiles et à demeurer dans la compétition pour le titre de meilleur chef du monde, mais pas besoin de médaille pour ce chef qui a bouleversé la gastronomie mondiale et dont la simplicité n’a d’égale que lui-même.
El Bulli renaîtra en 2014 mais dans une autre version, une Fondation à vocation écologique, rien ne sera plus pareil, on ne se rendra plus chez Ferran Adria comme à un pèlerinage programmé depuis des mois, voire des années.
Alors, il y a ceux qui ont eu la chance d’y manger au moins une fois dans leur vie, et puis il y a ceux qui sont restés sur l’espoir d’assister à la grande messe de la cuisine créative, ces derniers seront frustrés à vie.
L’ivresse des créations culinaires de ce chef génie de cuisine, catalan dans ses veines, nous l’avons connue en 1992, alors que nous venions d’ouvrir depuis seulement trois ans Le Jardin des Sens, déjà nous avions eu échos de son talent. Lui avait repris cette ancienne hacienda sur la côte catalane proche de Rosas en 1987.
Fils d’un peintre, Ferran Adria commença à 18 ans comme plongeur dans un restaurant près de Barcelone. Ce jeune amateur de rumba catalane est arrivé aux milieu des années 1980 pour poser son empreinte sur cette plage, dans une crique, loin de toute urbanisation. Le début d’une aventure extraordinaire.
Et depuis cette année-là, les repas chez Ferran Adria et son compère Juli Soler sont devenus une étape obligée dans nos expériences culinaires annuelles. Je crois que depuis presque 20 ans, nous n’avons pas loupé une année, 2009 sera notre dernier repas à Rosas. Les longs mois passés à Shanghai en 2010 pour l’Exposition Universelle ne nous aurons pas permis de nous y rendre.
Nous avons connu » El Bulli » au temps où il suffisait de téléphoner la veille pour avoir une table et même d’y aller sans réserver. Depuis Montpellier, en quelques petites heures, nous pouvions retrouver la » Cala Montjoi » et se retrouver au bout du monde, même en bateau depuis le port d’Agde. C’était une escapade que nous avons renouvelée de nombreuses fois. En voiture, ces 7 kilomètres sur cette petite route sinueuse au-dessus de Rosas, nous l’avons connu au temps où elle était tout juste praticable, c’était une expédition pour arriver au bord de l’eau.
Nous avons amené avec nous beaucoup d’amis, de collaborateurs, de chefs, de journalistes, c’était un rendez-vous pour passionnés de cuisine, souvent une expérience inoubliable même pour les non initiés.
Le chef deviendra vite la coqueluche des gastronomes du monde entier, et il devint difficile d’obtenir une table, même de nombreux mois à l’avance. Nous ne comptions plus le nombre de clients qui demandaient aux frères Pourcel et Olivier Château de pouvoir leur obtenir une table, étant certains que nous avions des passe-droits pour obtenir des réservations. Il faut dire qu’au fil des ans, le restaurant fermait de plus en plus, 5 mois par an dans les années 2000, puis tous les déjeuners, puis deux jours par semaine, et pour finir définitivement ce jour.
Sa cuisine a évolué au fil des ans, nous avons toujours gardé en tête les premières années de ses créations, sa cuisine était déjà très novatrice, mais moins technique, moins dépouillée, elle faisait la part belle aux produits.
Le Chef a influencé la cuisine du monde entier, la gastronomie française y perdait ses repères, avec intelligence il a su, par de longues années de recherche, décomposer l’acquis culinaire et le retranscrire. L’innovation et la technique au service du palais, c’était un peu sa démarche.
Le dernier repas que nous avons pris en 2009, c’était 38 préparations toutes aussi étonnantes les unes que les autres. Il restera comme un des meilleurs repas de notre vie, même si sur certaines préparations c’était plus conceptuel que créatif, mais les incompréhensions étaient nécessaires pour avancer.
Le monde entier se pressait à sa table, seulement 50 places journalières pour satisfaire des milliers de demandes, la presse avait même parlé de deux millions de demandes pour 8 000 couverts servis par an. Pourtant, en dépit de sa popularité, le chef déclarait l’an dernier accuser un demi million d’euros de pertes par an, pour compenser et redresser ses comptes annuels produits dérivés, livres de cuisine, conférences…
Des centaines de jeunes chefs en herbe sont passés dans les cuisines de Adria. Le Chef aura marqué plusieurs générations et son époque, mais soyez sûr que vous n’avez pas fini d’entendre parler de lui, et c’est tant mieux !