AFP… A. Ducasse opte pour le 1-2-3
03 oct 2010
Catégorie : Chefs
Pour le chef Alain Ducasse, le vrai luxe c’est l’intensité du goût.
De Gersende RAMBOURG (AFP) – 9h45
PARIS — Du pain et du beurre, rien de plus simple. Mais quand il s’agit d’une tranche épaisse d’un pain au levain au goût fumé, toasté, sur lequel fond un beurre demi-sel ultra-frais, c’est une explosion. L’essence du goût, comme celle que revendique aujourd’hui Alain Ducasse.
En amuse-bouche, le chef propose ce « sommet du pain et du beurre » avec du lard ou du maigre, un poisson proche du bar, enveloppé dans du papier de charcutier. « Je veux rafraîchir la mémoire des goûts essentiels », dit-il. Comme avec ces petites crevettes sautées, servies à même la poêle, y compris les têtes qu’on mange croustillantes à l’aide d’une pique.
Le cuisinier, qui dirige une multitude d’établissements étoilés dans le monde, mène une réflexion depuis huit mois sur la manière de recentrer la cuisine sur le goût pur et concentré. Un produit d’exception, une cuisine pour le mettre en valeur, aucun accessoire. Pour un plaisir « immédiat, intense, radical », affirme-t-il lors d’un entretien avec l’AFP, dans sa cuisine du Plaza Athénée.
Car c’est dans le palace parisien qu’il expérimente cette nouvelle « route », qu’il « espère un peu anticipatrice des tendances à venir ».
Depuis vendredi, la carte a complètement changé. Les prix restent les mêmes mais l’assiette se limite à deux ou trois ingrédients. « Sujet, verbe, complément », résume M. Ducasse : « veau carottes » ou encore « turbot, coquillages, blettes ».
Son nouveau chef exécutif, Christophe Saintagne, demande ainsi plus de souplesse aux fournisseurs : « Je veux le meilleur produit quand il est au top. On essaye d’être plus pointus en termes de saisonnalité, alors qu’on avait tendance à vouloir un produit de saison en trop grand volume, trop longtemps ».
Le restaurant trois étoiles du Plaza, c’était une « très belle mécanique qui ronflait tranquillement, j’en ai eu marre, dit M. Ducasse, pour expliquer ces changements. J’ai eu envie de plus de luxe, je crois que la période y est propice, et plus de radicalité ».
Plus de luxe dans la décoration, pour rendre la salle aux impressionnants lustres déstructurés encore « plus séduisante » et « haute couture », mais plus de dépouillement en cuisine.
« On n’est plus dans une cuisine d’apparat, c’est fini ça. La clientèle a envie de se rassurer. On vit dans un monde bousculé, incertain, on a un grand besoin de se réconforter » à table, affirme-t-il.
La démarche « va un peu choquer », fait semblant de s’inquiéter le chef qui veut « marquer les esprits » et qualifie son pari d' »osé », tout en se régalant sans fausse retenue des multiples plats que sort la cuisine.
« Goûtez ça, parce que… », s’interrompt régulièrement au milieu d’une phrase ce vrai gourmand, partageant son assiette, tendant du bout des doigts une tranche de côte de boeuf saignante à souhait, tout juste croûtée de fleur de sel.
Dans un plat sobrement intitulé « Légumes et fruits » avec betterave, coing, poire, carotte et céleri, chaque élément est cuit avec ses fanes ou dans son jus « pour mieux le préciser ». Une pomme crue râpée dessus au dernier moment ajoute du croquant et de la fraîcheur.
A la veille de la nouvelle « formule », Alain Ducasse se montre sévère. Il trouve la bisque de homard trop concentrée. « La surconcentration, ce n’est pas bon. Là, il y a 10 % en trop », note-t-il avant d’appeler le chef pour lui faire goûter.
Au dessert, un « crème, meringue, fraises » d’une simplicité confondante. Les fraises odorantes et sucrées ne sont jamais passées au frigo, la crème maturée est incroyablement épaisse, la meringue, préparée avec un peu de poudre d’amande, fond sous la langue.