Vieille Europe ?… C’est quoi la France ?
23 mai 2010
Catégorie : Presse & Médias
Un article très intéressant et une analyse intelligente des pavillons Europe paru sur Libé… pour une fois !…
À lire ci-dessous, ou sur le link ci-après.
http://voyages.liberation.fr/grandes-destinations/shanghai-la-parade-du-vieux-continent
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Faisons un test avec madame Wen et sa fille, de Louis Vuitton et Dior estampillées, qui déambulent dans l’exposition universelle de Shanghai. «C’est quoi votre idée de la France» ?
«Romantique !», s’écrie la mère en mandarin. «Love story», ajoute la fille en anglais. Mais encore ? «On aime les films avec Alain Delon.» Très excitées, elles ne veulent pas en démordre : «Les hommes français sont romantiques.» Et leurs femmes «belles et bien habillées», comme Carla Bruni. Les organisateurs du pavillon français ont fait très tôt le constat.
Pour les Chinois, la France n’est ni la patrie des droits de l’homme, ni celle de Peugeot-Citroën. «C’est le pays où l’on fait son voyage de noces», assure José Frèche, commissaire du Pavillon. Le concept étant simple à décliner, surtout dans le contexte de relations épidermiques entre les deux pays, il a foncé dans «le romantisme», sans craindre d’en rajouter dans le marronnier parisien. Saint-Germain-des-Prés, cuisine française, Brigitte Bardot.
Bistros et tour Eiffel… Le pavillon tricolore baptisé «Ville sensuelle» joue la carte du bon goût, de l’élégance et du tourisme. Environ 700 000 Chinois visitant Paris chaque année, autant leur faire les yeux doux : «C’est le peuple chinois qui viendra à l’exposition, pour eux c’est un conte de fées, continue José Frèche, on veut leur faire plaisir et leur faire écouter notre petite musique raffinée et élégante.» Tout est chic, de la résille de béton qui structure le pavillon, aux beaux jardins à la française verticaux, prouesse de l’agence de paysagisme TER.
Paris est montré sous toutes ses vieilles pierres, ses bistros, la tour Eiffel : «Nous voulons dire aux Chinois que le plaisir est en ville, qu’un coucher de soleil est aussi beau sur la Seine que sur la mer, et qu’il faut en finir avec la nostalgie de la vie dans la nature», explique l’architecte Jacques Ferrier. Avec Alain Delon et Carla Bruni en ambassadeurs le jour de l’inauguration, le 30 avril, la carte postale était presque parfaite.
D’ici la clôture de l’exposition, le 31 octobre, on pourra se marier devant les châteaux de la Loire, contempler l’Angélus de Millet original, déguster du saint-émilion dans le restaurant gastronomique des frères Pourcel , assister à une comédie musicale signée Alain Delon. Et repartir avec l’image d’une douce France figée dans un film des années cinquante.
Chaque pays du Vieux Continent traîne son cliché dans les cerveaux chinois. Et chacun réagit à sa façon. La réputation de l’Angleterre, marquée par la reine et les double-deckers, est «très old fashion», selon Thomas Heatherwick, jeune designer du pavillon britannique. «90% des Chinois nous voient avec des chapeaux melon sur la tête, dit-il, c’est agaçant.» Contrairement aux Français, il a voulu sortir de ce smog, «surprendre, montrer l’originalité et la modernité du Royaume-Uni». C’est réussi. Dès le premier jour, les visiteurs ont fait quatre heures de queue devant le pavillon anglais. Ce gros marshmallow hérissé de pics translucides est de loin la création la plus surprenante de toute l’exposition, si l’on excepte l’imposant pavillon chinois – mais ce dernier est hors-jeu : les Chinois, chez eux après tout, n’ont pas respecté la taille réglementaire imposée aux autres participants. Le pavillon britannique, deux fois plus petit et quatre fois moins cher que le français, a le mérite de sortir du lot des 192 exposants.
Signe d’intérêt, il a déjà des surnoms dans la presse chinoise, «oursin» ou «pissenlit». Ici, pas de Tower Bridge ni de Sherlock Holmes. Le gazon anglais synthétique qui entoure le pavillon est gris, Londres est évoqué par ses espaces verts, dans une vue satellitaire également en gazon artificiel : «Nous sommes les inventeurs des jardins urbains, explique Heatherwick, c’est l’avenir des villes, en Chine encore plus qu’ailleurs.» L’intérieur est une cathédrale, dont les murs sont constitués des extrémités des pics en résine acrylique qui transmettent la lumière du jour. Chaque bout est un minuscule vitrail où est enchâssée une graine. Il y a autant d’espèces que de pics, 60 000. Pourquoi des graines ? «C’est le départ de tout, la poule et l’oeuf.», explique le designer. Pas besoin de référence pour comprendre que l’Angleterre se fiche d’être distinguée, mais pas de se distinguer.
Maintenant, dites «idali», Italie en chinois. La réponse varie entre «Ferrari» et «Gucci», indicateur de la prospérité des relations commerciales sino-italiennes. «Malgré ça, on est partis de très loin, les Chinois nous demandaient si on parlait anglais en Italie», raconte un organisateur (habillé en Burberry), devant une splendeur de Ferrari vert pomme. Le pavillon entier est une vitrine du luxe. Les reproductions de Chirico et du théâtre palladien de Vicenza servent d’emballage aux produits made in Italy, Dolce&Gabbana, Vespa et huile d’olive. La veille de l’inauguration, une styliste sévère tentait d’habiller les hôtes et hôtesses recrutés pour la durée de l’expo en boléro fuchsia et jupe ou pantalon prince-de-galles, une tenue pas forcément adaptée à la morphologie des adolescents chinois. «C’est ridicule», commente une jeune fille minuscule, obligée de retenir sa jupe taille basse. Un garçon plus que rondelet tiraille sur la soie rose, impossible de fermer les boutons. La professionnelle des défilés ne se démonte pas, redressant un menton, tapant sur un bedon relâché. Dans le pavillon français, à côté, d’autres jeunes gens, coachés par un petit chef blond, sont alignés en rangs militaires, étrennant leurs nouvelles salopettes bleu, blanc, rouge «Léon le Chaton» (1). Ni les uns ni les autres ne semblent convaincus par l’élégance occidentale.
L’Espagne revient d’encore plus loin que ses compatriotes européens. Sinon le Real Madrid, la péninsule ibérique n’évoque strictement rien aux Chinois, selon la commissaire Maria Tena. Le pavillon, un assemblage de 6 000 plaques tressées en osier dont la fabrication manuelle a pris cinq ans, rappelle le musée Guggenheim de Bilbao.
Danseuse nue et enceinte
A l’intérieur, c’est flamenco et politique : «On montre la dictature et la guerre civile, pour dire très clairement qu’on peut en sortir», dit Maria Tena. Elle a perdu un bras de fer avec la censure locale, opposée à des photos d’une danseuse nue et enceinte. Dans une immense salle, Isabel Coixet, réalisatrice du film Elegy avec Penélope Cruz, montre son bébé shanghaien. Un vrai bébé de 6 mètres de hauteur, qui sourit, gazouille et bouge la tête. «Je n’ai pas une passion particulière pour les enfants, explique-t-elle, je les trouve même plutôt encombrants. Mais je me suis demandé comment faire passer nos messages aux Chinois. Au pays de l’enfant unique et du bébé roi, celui-ci fait un tabac ! Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas tout de faire des enfants. Il faut aussi leur donner une bonne vie : la liberté d’expression, l’égalité, l’assurance-maladie, un monde sans pollution, tout ce qui manque en Chine !» Des écrans à ras de terre passent des animations sur ces thèmes. Le public se passionne pour les hommes espagnols montrés en train de changer des couches et faire la vaisselle. Personne n’a dit qu’il fallait dire la vérité dans les pavillons de l’exposition universelle.