Juliane Caspar version II pour Nicolas De Rabaudy
18 mar 2010
Catégorie : Presse & Médias
Nouvelle rencontre pour Juliane Caspar par le journaliste Nicolas de Rabaudy pour le site www.slate.fr décidément, c’est la série !
http://www.slate.fr/story/18459/juliane-caspar-lenigmatique-patronne-du-michelin
Juliane Caspar, l’énigmatique patronne du Michelin
Pas de photo, une discrétion absolue : l’Allemande amoureuse de la cuisine française renoue avec les traditions.
Il y a eu l’Anglais, Derek Brown, un gentleman de la gastronomie, patron du Michelin jusqu’en 2004. Voici cette année l’Allemande, Juliane Caspar, née en 1970 à Bochum (Rhénanie), jolie femme, taille mannequin et regard pétillant, parlant la langue de Molière avec un léger accent qui n’est pas sans charme. Vous devrez vous contenter de la description : Juliane Caspar a renoué avec l’anonymat cher au Guide. Pas de photo. Finie la médiatisation que l’on avait connue avec Jean-Luc Naret, ex-directeur du Guide France, promu patron toujours très médiatique des Michelin étrangers (deux au Japon). Juliane Caspar ne recevra pas non plus de restaurateurs ni d’hôteliers désireux de recueillir des explications sur les délassements cinglants, comme ce qui vient d’arriver à Hélène Darroze (75006), à Gérard Besson (75001) et à Baths (75017).
Toujours la langue de bois ? Les caciques du Guide sanctionnent des enseignes, ce qui peut mettre en danger l’économie, le chiffre d’affaires et la fréquentation, et l’on ne se justifie pas. Méthode d’un autre âge ! D’après Jean-Luc Naret, qui milite pour la transparence des verdicts, chefs, restaurateurs et hôteliers pourront être reçus au siège parisien, 46, avenue de Breteuil, par des responsable du Guide afin d’obtenir les raisons des sanctions : plats à demi réussis, produits médiocres, non saisonniers, cuisine approximative… Le Michelin veut à tout prix démontrer que le Guide ne s’acharne pas contre les restaurants à problèmes – absences répétées du chef, personnel réduit, ou le choix moins haut de gamme des produits : les étoiles envolées peuvent revenir, voir Marc Meneau à Vézelay.
L’apprentie devenue patronne du guide
Juliane Caspar est un pur produit Michelin. Son atout majeur, c’est qu’elle a été employée comme apprentie dans un hôtel allemand puis en qualité de serveuse dans des restaurants en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud et en Italie. À Bergisch Gladbach, elle a terminé sa carrière comme directrice de salle du Vendôme, un futur trois étoiles blotti dans le grand hôtel Schloss Bensberg : des coulisses du métier, des secrets du service, des manières de se comporter avec les mangeurs, Juliane Caspar a tout appris sur le tas. Nul doute que cette expérience de cinq années dans le petit monde de la restauration internationale lui a procuré un savoir, des connaissances techniques, pratiques, ô combien utiles pour aiguiser son acuité visuelle et son aptitude à noter les inspections.
C’est en 2002 qu’elle a été engagée comme inspectrice du Michelin Allemagne puis du Guide Autriche qu’elle a lancé – supprimé depuis. En 2007, elle est nommée rédactrice en chef du Michelin Suisse, deux restaurants trois étoiles : Philippe Rochat à Crissier et Gérard Rabaey au Pont de Brent, près de Montreux. Initiation à la haute cuisine française.
En 2009, Jean-Luc Naret l’appelle à Paris ; aux côtés d’inspecteurs chevronnés, elle sillonne la France, rédige les sacro-saints rapports de visites des hôtels et restaurants, assiste aux «séances étoiles», se pénétrant des fameux critères de sélection : le rapport qualité prix, la régularité, le choix des produits, la personnalisation de la cuisine, la maîtrise des cuissons et des saveurs – le bréviaire du système Michelin.
«Nous jugeons l’assiette»
En mars 2010, elle vient de présenter le guide annuel dont elle assume les choix, la sélection des étoilés, soit 558 restaurants. «Je suis fière de l’effort accompli avec l’équipe des inspecteurs très professionnels, indique-t-elle de sa voix douce, sous le regard de Jean-Luc Naret, son mentor. Nous travaillons d’abord pour nos lecteurs, le Michelin n’exprime pas de théorie sur la cuisine ancienne ou moderne, nous jugeons l’assiette et les plats que nous dégustons, rien de plus.»
Formatée Michelin, Juliane Caspar dit clairement qu’elle n’a pas l’intention de bouleverser les principes fondateurs de la bible des gourmets et voyageurs. On devine qu’en douze mois, elle s’est coulée dans le moule, pas de vagues. Le Michelin est centenaire et les ventes approchent les 400.000 exemplaires ; en dépit des commentaires très critiques de certains médias, des concurrents en librairie, le «rouge», comme on l’avait baptisé dans les années 2000, conserve toute son influence, son aura et sa puissance de frappe.
Puissance de frappe
Une étoile signifie au moins 30 % de chiffre d’affaires en plus. Et Anne-Sophie Pic, pour sa troisième étoile en 2005 à Valence, a doublé son chiffre d’affaires en six mois. «C’est le plus beau jour de ma vie», avait clamé René Lasserre pour sa troisième étoile en février 1962, imité en cela par la plupart de ses confrères en toque, dont Gilles Goujon, 48 ans, le triple étoilé de l’édition 2010 à Fontjoncouse, 136 habitants, dans l’Aude. Une véritable découverte.
Discrète, effacée, dépourvue de tout ego, Juliane Caspar confie : «Ce n’est pas le fait que je sois allemande de naissance qui importe, c’est ma compétence et la crédibilité du Guide. Et puis, francophile je le suis tout autant qu’européenne.»
À l’heure où les guides rouges sont édités dans la quasi-totalité des pays d’Europe (et ailleurs) dont la référence de base en matière de nourriture reste la cuisine française, la passion de Juliane Caspar. Bon vent !
Nicolas de Rabaudy